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7 novembre 2014 5 07 /11 /novembre /2014 19:17

Quel sillage blanc et trouble je laisse sur mon passage, de pâles eaux, de plus pâles joues. Les lames envieuses s’enflent derrière moi pour effacer ma trace. Qu’elles la fassent disparaitre, j’aurai néanmoins passé le premier. Là-bas déborde la coupe toujours pleine, la vague chaude rougit comme un vin. Le fil à plomb d’or sonde la mer. Le soleil qui, lentement, décline depuis le matin achève sa courbe plongeante, il descend cependant que s’élève mon âme ! Elle peine à cette montée sans fin. Serait-elle trop lourde, la couronne que je porte ? Cette couronne de fer des rois lombards ? Elle est pourtant sertie de pierres précieuses et moi qui la porte je ne puis voir l’éclat qu’elles jettent au loin, mais je sens confusément que l’éblouissement engendre la confusion. C’est du fer – je le sais – non de l’or. Elle est brisée – je le sens. Ses bords déchirés me blessent si profond que mon cerveau semble palpiter dans un étau de métal. Oui, mon crâne est d’acier, point n’est besoin de casque dans cette lutte où la charge est lancée contre mon esprit !

La fièvre brûle mon front. Oh ! Il fut un temps où le soleil levant m’était un noble aiguillon et un apaisement le soleil du soir. Rien ne m’est plus. Cette lumière adorable ne m’éclaire pas, toute beauté m’est une angoisse dont je ne peux tirer nulle joie. S’il m’est accordé de la percevoir à l’extrême, je suis privé de l’humble pouvoir d’y prendre plaisir. Je suis damné de la plus subtile, de la plus perverse façon ! Damné au cœur du paradis ! Bonne nuit… Bonne nuit ! (il agite la main et s’écarte de la fenêtre)

Ce ne fut pas tâche si ardue. J’aurais cru trouver du moins un rebelle mais ma roue dentée s’adapte à tous les engrenages et ils tournent. Ou bien, si l’on préfère, ils sont devant moi comme des tas de poudre et je suis l’étincelle. Mis le pire, c’est qu’il faille consumer l’allumette pour communiquer la flamme ! Ce que j’ai osé, je l’ai voulu, ce que j’ai voulu, je le ferai ! Ils me croient fou – Strarbuck le croit. Mais je suis satanique, je suis la folie elle-même, déchaînée ! Cette folie furieuse qui n’a de lucidité que pour se comprendre elle-même. La prophétie veut que je sois déchiqueté, eh… oui ! J’ai perdu cette jambe. Je prédis à présent que je démembrerai celle qui m’a démembré. Sois maintenant et le prophète et l’exécuteur. C’est plus que vous ne fûtes jamais, Dieux Grands. (…) Me détourner ? Vous ne le pouvez sans dévier vous-mêmes ! C’est là que je vous tiens ! M’écarter de ma voie, quand la route qui mène à mon but immuable est faite de rails d’acier et que les roues de mon âme sont creusées pour la suivre. Au-dessus de l’abîme des gorges, à travers le cœur transpercé des montagnes, sous le lit des torrents, je me rue tout droit devant moi ! Ni obstacle ni tournant à ma voie ferrée !

 

Melville, Moby Dick, XXXVII "Au coucher du soleil"

Achab
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